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Livre II – Chapitre XVII

De la Præsumption

IL y a une autre sorte de gloire, qui est une trop bonne opinion que nous concevons de nostre valeur. C’est un’ affection inconsiderée, dequoy nous nous cherissons, qui nous represente à nous mesmes autres que nous ne sommes : comme la passion amoureuse preste des beautez et des graces au subjet qu’elle embrasse, et fait que ceux qui en sont espris, trouvent, d’un jugement trouble et alteré, ce qu’ils ayment, autre et plus parfaict qu’il n’est. Je ne veux pas que, de peur de faillir de ce costé là, un homme se mesconnoisse pourtant, ny qu’il pense estre moins que ce qu’il est. Le jugement doit tout par tout maintenir son droit : c’est raison qu’il voye en ce subject, comme ailleurs, ce que la verité luy presente. Si c’est Caesar, qu’il se treuve hardiment le plus grand Capitaine du monde. Nous ne sommes que ceremonie : la ceremonie nous emporte, et laissons la substance des choses ; nous nous tenons aux branches et abandonnons le tronc et le corps. Nous avons apris aux Dames de rougir oyant seulement nommer ce qu’elles ne craignent aucunement à faire ; nous n’osons appeller à droict nos membres, et ne craignons pas de les employer à toute sorte de desbauche. La ceremonie nous defend d’exprimer par parolles les choses licites et naturelles, et nous l’en croyons ; la raison nous defend de n’en faire point d’illicites et mauvaises, et personne ne l’en croit. Je me trouve icy empestré és loix de la ceremonie, car elle ne permet ny qu’on parle bien de soy, ny qu’on en parle mal. Nous la lairrons là pour ce coup. Ceux que la fortune (bonne ou mauvaise qu’on la doive appeller) a faict passer la vie en quelque eminent degré, ils peuvent par leurs actions publiques tesmoigner quels ils sont. Mais ceux qu’elle n’a employez qu’en foule, et de qui personne ne parlera, si eux mesmes n’en parlent, ils sont excusables s’ils prennent la hardiesse de parler d’eux mesmes envers ceux qui ont interest de les connoistre, à l’exemple de Lucilius :

Ille velut fidis arcana sodalibus olim
Credebat libris, neque, si malè cesserat, usquam
Decurrens alio, neque si benè : quo fit ut omnis
Votiva pateat veluti descripta tabella
Vita senis.

Celuy là commettoit à son papier ses actions et ses pensées, et s’y peignoit tel qu’il se sentoit estre. Nec id Rutilio et Scauro citra fidem aut obtrectationi fuit. Il me souvient donc que, des ma plus tendre enfance, on remarquoit en moy je ne scay quel port de corps et des gestes tesmoignants quelque vaine et sotte fierté. J’en veux dire premierement cecy, qu’il n’est pas inconvenient d’avoir des conditions et des propensions si propres et si incorporées en nous, que nous n’ayons pas moyen de les sentir et reconnoistre. Et de telles inclinations naturelles, le corps en retient volontiers quelque pli sans nostre sçeu et consentement. C’estoit une certaine affetterie consente de sa beauté, qui faisoit un peu pancher la teste d’Alexandre sur un costé et qui rendoit le parler d’Alcibiades mol et gras. Julius Caesar se gratoit la teste d’un doigt, qui est la contenance d’un homme remply de pensemens penibles ; et Ciceron, ce me semble, avoit accoustumé de rincer le nez, qui signifie un naturel moqueur. Tels mouvemens peuvent arriver imperceptiblement en nous. Il y en a d’autres, artificiels, dequoy je ne parle point, comme les salutations et reverences, par où on acquiert, le plus souvent à tort, l’honneur d’estre bien humble et courtois : on peut estre humble de gloire. Je suis assez prodigue de bonnettades, notamment en esté, et n’en reçoys jamais sans revenche, de quelque qualité d’homme que ce soit, s’il n’est à mes gages. Je desirasse d’aucuns Princes que je connois, qu’ils en fussent plus espargnans et justes dispensateurs : car, ainsin indiscrettement espandues, elles ne portent plus de coup. Si elles sont sans esgard, elles sont sans effect. Entre les contenances desreglées, n’oublions pas la morgue de Constantius, l’Empereur, qui en publicq tenoit tousjours la teste droite, sans la contourner ou flechir ny ça ny là, non pas seulement pour regarder ceux qui le saluoient à costé, ayant le corps planté immobile, sans se laisser aller au branle de son coche, sans oser ny cracher, ny se moucher, ny essuyer le visage devant les gens. Je ne sçay si ces gestes qu’on remerquoit en moy, estoient de cette premiere condition, et si à la verité j’avoy quelque occulte propension à ce vice, comme il peut bien estre, et ne puis pas respondre des bransles du corps ; mais, quant aux bransles de l’ame, je veux icy confesser ce que j’en sens. Il y a deux parties en cette gloire : sçavoir est, de s’estimer trop, et n’estimer pas assez autruy. Quant à l’une, il me semble premierement ces considerations devoir estre mises en conte, que je me sens pressé d’un’erreur d’ame qui me desplait et comme inique et encore plus comme importune. J’essaye à la corriger ; mais l’arracher, je ne puis. C’est que je diminue du juste prix les choses que je possede, de ce que je les possede ; et hausse le prix aux choses, d’autant qu’elles sont estrangieres, absentes et non miennes. Cette humeur s’espand bien loin. Comme la prerogative de l’authorité faict que les maris regardent les femmes propres d’un vitieux desdein, et plusieurs peres leurs enfans ; ainsi fay je, et entre deux pareils ouvrages poiseroy tousjours contre le mien. Non tant que la jalousie de mon avancemant et amandemant trouble mon jugement et m’empesche de me satisfaire, comme que, d’elle mesme, la maistrise engendre mespris de ce qu’on tient et regente. Les polices, les meurs loingtaines me flattent, et les langues ; et m’appercoy que le latin me pippe à sa faveur par sa dignité, au delà de ce qui luy appartient, comme aux enfans et au vulgaire. L’Oeconomie, la maison, le cheval de mon voisin, en esgale valeur, vault mieux que le mien, de ce qu’il n’est pas mien. Davantage que je suis tres ignorant en mon faict. J’admire l’asseurance et promesse que chacun a de soy, là où il n’est quasi rien que je sçache sçavoir, ny que j’ose me respondre pouvoir faire. Je n’ay point mes moyens en proposition et par estat ; et n’en suis instruit qu’apres l’effect : autant doubteux de moy que de toute autre chose. D’où il advient, si je rencontre louablement en une besongne, que je le donne plus à ma fortune qu’à ma force : d’autant que je les desseigne toutes au hazard et en crainte. Pareillement j’ay en general cecy que, de toutes les opinions que l’ancienneté a eues de l’homme en gros, celles que j’embrasse plus volontiers et ausquelles je m’attache le plus, ce sont celles qui nous mesprisent, avilissent et aneantissent le plus. La philosophie ne me semble jamais avoir si beau jeu que quand elle combat nostre presomption et vanité, quand elle reconnoit de bonne foy son irresolution, sa foiblesse et son ignorance. Il me semble que la mere nourrisse des plus fauces opinions et publiques et particulieres, c’est la trop bonne opinion que l’homme a de soy. Ces gens qui se perchent à chevauchons sur l’epicycle de Mercure, qui voient si avant dans le ciel, ils m’arrachent les dens : car en l’estude que je fay, duquel le subject c’est l’homme, trouvant une si extreme varieté de jugemens, un si profond labyrinthe de difficultez les unes sur les autres, tant de diversité et incertitude en l’eschole mesme de la sapience, vous pouvez penser, puis que ces gens là n’ont peu se resoudre de la connoissance d’eux mesmes et de leur propre condition, qui est continuellement presente à leurs yeux, qui est dans eux ; puis qu’ils ne sçavent comment branle ce qu’eux mesmes font branler, ny comment nous peindre et deschiffrer les ressorts qu’ils tiennent et manient eux mesmes, comment je les croirois de la cause du flux et reflux de la riviere du Nile. La curiosité de connoistre les choses a esté donnée aux hommes pour fleau, dit la saincte parole. Mais, pour venir à mon particulier, il est bien difficile, ce me semble, que aucun autre s’estime moins, voire que aucun autre m’estime moins, que ce que je m’estime. Je me tiens de la commune sorte, sauf en ce que je m’en tiens : coulpable des defectuositez plus basses et populaires, mais non desadvouées, non excusées ; et ne me prise seulement que de ce que je sçay mon prix. S’il y a de la gloire, elle est infuse en moy superficiellement par la trahison de ma complexion, et n’a point de corps qui comparoisse à la veue de mon jugement. J’en suis arrosé, mais non pas teint. Car, à la verité, quand aux effects de l’esprit, en quelque façon que ce soit, il n’est jamais party de moy chose qui me remplist ; et l’approbation d’autruy ne me paye pas. J’ay le goust tendre et difficile, et notamment en mon endroit : je me desadvoue sans cesse ; et me sens par tout flotter et fleschir de foiblesse. Je n’ay rien du mien dequoy satisfaire mon jugement. J’ay la veue assez claire et reglée ; mais, à l’ouvrer, elle se trouble : comme j’essaye plus evidemment en la poesie. Je l’ayme infiniment : je me cognois assez aux ouvrages d’autruy ; mais je fay, à la verité, l’enfant quand j’y veux mettre la main ; je ne me puis souffrir. On peut faire le sot par tout ailleurs, mais non en la Poesie,

mediocribus esse poetis
Non dii, non homines, non concessere columnae.

Pleust à Dieu que cette sentence se trouvat au front des boutiques de tous nos Imprimeurs, pour en deffendre l’entrée à tant de versificateurs,

verum
Nil securius est malo Poeta.

Que n’avons nous de tels peuples ? Dionysius le pere n’estimoit rien tant de soy que sa poesie. A la saison des jeux Olympiques, avec des chariots surpassant tous autres en magnificence, il envoya aussi des poetes et des musiciens pour presenter ses vers, avec des tentes et pavillons dorez et tapissez royalement. Quand on vint à mettre ses vers en avant, la faveur et excellence de la prononciation attira sur le commencement l’attention du peuple ; mais quand, par apres, il vint à poiser l’ineptie de l’ouvrage, il entra premierement en mespris, et, continuant d’aigrir son jugement, il se jetta tantost en furie, et courut abattre et deschirer par despit tous ses pavillons. Et ce que ses charriotz ne feirent non plus rien qui vaille en la course, et que la navire qui rapportoit ses gens faillit la Sicile et fut par la tempeste poussée et fracassée contre la coste de Tarente, il tint pour certain que c’estoit l’ire des Dieus irritez comme luy contre ce mauvais poeme. Et les mariniers mesme eschappez du naufrage alloient secondant l’opinion de ce peuple. A la quelle l’oracle qui predit sa mort, sembla aussi aucunement soubscrire. Il portoit que Dionysius seroit pres de sa fin quand il auroit vaincu ceux qui vaudroient mieux que luy : ce que il interpreta des Carthaginois qui le surpassoient en puissance. Et, ayant affaire à eux, gauchissoit souvant la victoire et la temperoit, pour n’encourir le sens de cette prediction. Mais il l’entendoit mal : car le dieu marquoit le temps de l’avantage que, par faveur et injustice, il gaigna à Athenes sur les poetes tragiques meilleurs que luy, ayant faict jouer à l’envi la sienne, intitulée les Leneïens ; soudain apres laquelle victoire il trepassa, et en partie pour l’excessive joye qu’il en conceut. Ce que je treuve excusable du mien, ce n’est pas de soy et à la verité, mais c’est à la comparaison d’autres choses pires, ausquelles je voy qu’on donne credit. Je suis envieux du bon-heur de ceux qui se sçavent resjouir et gratifier en leur besongne, car c’est un moyen aisé de se donner du plaisir, puis qu’on le tire de soy mesmes. Specialement s’il y a un peu de fermeté en leur opiniatrise. Je sçay un poete à qui forts, foibles, en foulle et en chambre, et le ciel et la terre crient qu’il n’y entend guere. Il n’en rabat pour tout cela rien de la mesure à quoy il s’est taillé, tousjours recommence, tousjours reconsulte, et tousjours persiste ; d’autant plus fort en son avis et plus roidde qu’il touche à luy seul de le maintenir. Mes ouvrages, il s’en faut tant qu’ils me rient, qu’autant de fois que je les retaste, autant de fois je m’en despite :

Cum relego, scripsisse pudet, quia plurima cerno,
Me quoque qui feci judice, digna lini.

J’ay tousjours une idée en l’ame et certaine image trouble, qui me presente comme en songe une meilleure forme que celle que j’ay mis en besongne, mais je ne la puis saisir et exploiter. Et cette idée mesme n’est que du moyen estage. Ce que j’argumente par là, que les productions de ces riches et grandes ames du temps passé sont bien loing au delà de l’extreme estendue de mon imagination et souhaict. Leurs escris ne me satisfont pas seulement et me remplissent ; mais ils m’estonnent et transissent d’admiration. Je juge leur beauté ; je la voy, si non jusques au bout, au-moins si avant qu’il m’est impossible d’y aspirer. Quoy que j’entreprenne, je doy un sacrifice aux graces, comme dict Plutarque de quelqu’un, pour pratiquer leur faveur,

si quid enim placet,
Si quid dulce hominum sensibus influit,
Debentur lepidis omnia gratiis.

Elles m’abandonnent par tout. Tout est grossier chez moy ; il y a faute de gentillesse et de beauté. Je ne sçay faire valoir les choses pour le plus que ce qu’elles valent, ma façon n’ayde rien à la matiere. Voilà pourquoy il me la faut forte, qui aye beaucoup de prise et qui luise d’elle mesme. Quand j’en saisis des populaires et plus gayes, c’est pour me suivre à moy qui n’aime point une sagesse ceremonieuse et triste, comme faict le monde, et pour m’esgayer, non pour esgayer mon stile, qui les veut plustost graves et severes (au moins si je dois nommer stile un parler informe et sans regle, un jargon populaire et un proceder sans definition, sans partition, sans conclusion, trouble, à la guise de celuy d’Amafanius et de Rabirius. Je ne sçay ny plaire, ny rejouyr, ny chatouiller : le meilleur conte du monde se seche entre mes mains et se ternit. Je ne sçay parler qu’en bon escient, et suis du tout denué de cette facilité, que je voy en plusieurs de mes compaignons, d’entretenir les premiers venus et tenir en haleine toute une trouppe, ou amuser, sans se lasser l’oreille d’un prince de toute sorte de propos, la matiere ne leur faillant jamais, pour cette grace qu’ils ont de sçavoir employer la premiere venue, et l’accommoder à l’humeur et portée de ceux à qui ils ont affaire. Les princes n’ayment guere les discours fermes, ny moy à faire des contes. Les raisons premieres et plus aisées, qui sont communément les mieux prinses, je ne sçay pas les employer : mauvais prescheur de commune. De toute matiere je dy volontiers les dernieres choses que j’en sçay. Cicero estime que és traictez de la philosophie le plus difficile membre ce soit l’exorde. S’il est ainsi, je me prens à la conclusion. Si faut-il conduire la corde à toute sorte de tons ; et le plus aigu est celuy qui vient le moins souvent en jeu. Il y a pour le moins autant de perfection à relever une chose vuide qu’à en soustenir une poisante. Tantost il faut superficiellement manier les choses, tantost les profonder. Je sçay bien que la plus part des hommes se tiennent en ce bas estage, pour ne concevoir les choses que par cette premiere escorse ; mais je sçay aussi que les plus grands maistres, et Xenophon et Platon, on les void souvent se relascher à cette basse façon, et populaire, de dire et traiter les choses, la soustenant des graces qui ne leur manquent jamais. Au demeurant, mon langage n’a rien de facile et poly : il est aspre et desdaigneux, ayant ses dispositions libres et desreglées ; et me plaist ainsi, si non par mon jugement, par mon inclination. Mais je sens bien que par fois je m’y laisse trop aller, et qu’à force de vouloir eviter l’art et l’affectation, j’y retombe d’une autre part :

brevis esse laboro,
Obscurus fio.

Platon dict que le long ou le court ne sont proprietez qui ostent ny donnent prix au langage. Quand j’entreprendroy de suyvre cet autre stile aequable, uny et ordonné, je n’y sçaurois advenir ; et encore que les coupures et cadences de Saluste reviennent plus à mon humeur, si est-ce que je treuve Caesar et plus grand et moins aisé à representer ; et si mon inclination me porte plus à l’imitation du parler de Seneque, je ne laisse pas d’estimer davantage celuy de Plutarque. Comme à faire, à dire aussi je suy tout simplement ma forme naturelle : d’où c’est à l’adventure que je puis plus à parler qu’à escrire. Le mouvement et action animent les parolles, notamment à ceux qui se remuent brusquement, comme je fay, et qui s’eschauffent. Le port, le visage, la voix, la robbe, l’assiette, peuvent donner quelque pris aux choses qui, d’elles mesmes, n’en ont guere, comme le babil. Messala se pleint en Tacitus de quelques accoustremens estroits de son temps, et de la façon des bancs où les orateurs avoient à parler, qui affoiblissoient leur eloquence. Mon langage françois est alteré, et en la prononciation et ailleurs, par la barbarie de mon creu : je ne vis jamais homme des contrées de deçà qui ne sentit bien evidemment son ramage et qui ne blessast les oreilles pures françoises. Si n’est-ce pas pour estre fort entendu en mon Perigordin, car je n’en ay non plus d’usage que de l’Alemand ; et ne m’en chaut guere. C’est un langage, comme sont autour de moy, d’une bande et d’autre, le Poitevin, Xaintongeois, Angoumoisin, Lymosin, Auvergnat : brode, trainant, esfoiré. Il y a bien au dessus de nous, vers les montaignes, un Gascon, que je treuve singulierement beau, sec, bref, signifiant, et à la verité un langage masle et militaire plus qu’autre que j’entende ; autant nerveux, puissant et pertinant, comme le François est gratieus, delicat et abondant. Quant au Latin, qui m’a esté donné pour maternel, j’ay perdu par des-accoustumance la promptitude de m’en pouvoir servir à parler : ouy, et à escrire, en quoy autrefois je me faisoy appeller maistre Jean. Voylà combien peu je vaux de ce costé là. La beauté est une piece de grande recommandation au commerce des hommes ; c’est le premier moyen de conciliation des uns aux autres, et n’est homme si barbare et si rechigné qui ne se sente aucunement frappé de sa douceur. Le corps a une grand’part à nostre estre, il y tient un grand rang ; ainsin sa structure et composition sont de bien juste consideration. Ceux qui veulent desprendre nos deux pieces principales et les sequestrer l’une de l’autre, ils ont tort. Au rebours, il les faut r’accoupler et rejoindre. Il faut ordonner à l’ame non de se tirer à quartier, de s’entretenir à part, de mespriser et abandonner le corps (aussi ne le sçauroit elle faire que par quelque singerie contrefaicte), mais de se r’allier à luy, de l’embrasser, le cherir, luy assister, le contreroller, le conseiller, le redresser et ramener quand il fourvoye, l’espouser en somme et luy servir de mary ; à ce que leurs effects ne paroissent pas divers et contraires, ains accordans et uniformes. Les Chretiens ont une particuliere instruction de cette liaison : car ils sçavent que la justice divine embrasse cette societé et jointure du corps et de l’ame, jusques à rendre le corps capable des recompenses eternelles ; et que Dieu regarde agir tout l’homme, et veut qu’entier il reçoive le chastiement, ou le loyer, selon ses merites. La secte Peripatetique, de toutes les sectes la plus civilisée, attribue à la sagesse ce seul soin de pourvoir et procurer en commun le bien de ces deux parties associées ; et montre les autres sectes, pour ne s’estre assez attachées à la consideration de ce meslange, s’estre partializées, cette-cy pour le corps, cette autre pour l’ame, d’une pareille erreur, et avoir escarté leur subject, qui est l’homme, et leur guide, qu’ils advouent en general estre nature. La premiere distinction qui aye esté entre les hommes, et la premiere consideration qui donna les praeeminences aux uns sur les autres, il est vray-semblable que ce fut l’advantage de la beauté :

agros divisere atque dedere
Pro facie cujusque et viribus ingenioque :
Nam facies multum valuit virésque vigebant.

Or je suis d’une taille un peu au dessoubs de la moyenne. Ce defaut n’a pas seulement de la laideur, mais encore de l’incommodité, à ceux mesmement qui ont des commandements et des charges : car l’authorité que donne une belle presence et majesté corporelle en est à dire. Caius Marius ne recevoit pas volontiers des soldats qui n’eussent six pieds de hauteur. Le courtisan a bien raison de vouloir pour ce gentilhomme qu’il dresse, une taille commune plus tost que tout’ autre, et de refuser pour luy toute estrangeté qui le face montrer au doit. Mais de choisir, s’il faut à cette mediocrité, qu’il soit plus tost au deçà qu’au delà d’icelle, je ne le ferois pas à un homme militaire. Les petits hommes, dict Aristote, sont bien jolis, mais non pas beaux ; et se connoist en la grandeur la grand’ame, comme la beauté en un grand corps et haut. Les Aethiopes et les Indiens, dit il, elisants leurs Roys et magistrats, avoient esgard à la beauté et procerité des personnes. Ils avoient raison : car il y a du respect pour ceux qui le suyvent, et, pour l’ennemy, de l’effroy, de voir à la teste d’une trouppe marcher un chef de belle et riche taille :

Ipse inter primos praestanti corpore Turnus
Vertitur, arma tenens, et toto vertice supra est.

Nostre grand Roy divin et celeste, duquel toutes les circonstances doivent estre remarquées avec soing, religion et reverence, n’a pas refusé la recommandation corporelle, speciosus forma prae filiis hominum. Et Platon, aveq la temperance et la fortitude, desire la beauté aux conservateurs de sa republique. C’est un grand despit qu’on s’adresse à vous parmy vos gens pour vous demander : Où est monsieur ? et que vous n’ayez que le reste de la bonnetade qu’on fait à vostre barbier ou à vostre secretaire. Comme il advint au pauvre Philopoemen. Estant arrivé le premier de sa troupe en un logis où on l’attendoit, son hostesse, qui ne le connoissoit pas, et le voyoit d’assez mauvaise mine, l’employa d’aller un peu aider à ses femmes à puiser de l’eau ou attiser du feu, pour le service de Philopoemen. Les gentils-hommes de sa suitte estans arrivez et l’ayant surpris embesongné à cette belle vacation (car il n’avoit pas failly d’obeyr au commandement qu’on luy avoit faict), lui demanderent ce qu’il faisoit-là : Je paie, leur respondit-il, la peine de ma laideur. Les autres beautez sont pour les femmes ; la beauté de la taille est la seule beauté des hommes. Où est la petitesse, ny la largeur et rondeur du front, ny la blancheur et douceur des yeux, ny la mediocre forme du nez, ny la petitesse de l’oreille et de la bouche, ny l’ordre et blancheur des dents, ny l’épesseur bien unie d’une barbe brune à escorce de chataigne, ny le poil relevé, ny la juste rondeur de teste, ny la frécheur du teint, ny l’air du visage agreable, ny un corps sans senteur, ny la proportion legitime des membres, peuvent faire un bel homme. J’ay au demeurant la taille forte et ramassée : le visage, non pas gras, mais plein ; la complexion, entre le jovial et le melancholique, moiennement sanguine et chaude,

Unde rigent setis mihi crura, et pectora villis ;

la santé forte et allegre, jusques bien avant en mon aage rarement troublée par les maladies. J’estois tel, car je ne me considere pas à cette heure que je suis engagé dans les avenues de la vieillesse, ayant pieça franchy les quarante ans :

minutatim vires et robur adultum
Frangit, et in partem pejorem liquitur aetas.

Ce que je seray doresenavant, ce ne sera plus qu’un demy estre, ce ne sera plus moy. Je m’eschape tous les jours et me desrobe à moy,

Singula de nobis anni praedantur euntes.

D’adresse et de disposition, je n’en ay point eu ; et si suis fils d’un pere tres dispost et d’une allegresse qui luy dura jusques à son extreme vieillesse. Il ne trouva guere homme de sa condition qui s’egalast à luy en tout exercice de corps : comme je n’en ay trouvé guiere aucun qui ne me surmontat, sauf au courir (en quoy j’estoy des mediocres). De la musique, ny pour la voix que j’y ay tres-inepte, ny pour les instrumens, on ne m’y a jamais sceu rien apprendre. A la danse, à la paume, à la luite, je n’y ay peu acquerir qu’une bien fort legere et vulgaire suffisance ; à nager, à escrimer, à voltiger et à sauter, nulle du tout. Les mains, je les ay si gourdes que je ne sçay pas escrire seulement pour moy : de façon que, ce que j’ay barbouillé, j’ayme mieux le refaire que de me donner la peine de le démesler ; et ne ly guere mieux. Je me sens poiser aux escoutans. Autrement, bon clerc. Je ne sçay pas clorre à droit une lettre, ny ne sçeuz jamais tailler plume, ny trancher à table, qui vaille, ny equipper un cheval de son harnois, ny porter à poinct un oiseau et le lascher, ny parler aux chiens, aux oiseaux, aux chevaux. Mes conditions corporelles sont en somme tres-bien accordantes à celles de l’ame. Il n’y a rien d’allegre : il y a seulement une vigueur pleine et ferme. Je dure bien à la peine ; mais j’y dure, si je m’y porte moy-mesme, et autant que mon desir m’y conduit,

Molliter austerum studio fallente laborem.

Autrement, si je n’y suis alleché par quelque plaisir, et si j’ay autre guide que ma pure et libre volonté, je n’y vaux rien. Car j’en suis là que, sauf la santé et la vie, il n’est chose pourquoy je veuille ronger mes ongles, et que je veuille acheter au pris du tourment d’esprit et de la contrainte,

tanti mihi non sit opaci
Omnis arena Tagi, quodque in mare volvitur aurum :

extremement oisif, extremement libre, et par nature et par art. Je presteroy aussi volontiers mon sang que mon soing. J’ay une ame toute sienne, accoustumée à se conduire à sa mode. N’ayant eu jusques à cett’heure ny commandant ny maistre forcé, j’ay marché aussi avant et le pas qu’il m’a pleu. Cela m’a amolli et rendu inutile au service d’autruy, et ne m’a faict bon qu’à moy. Et, pour moy, il n’a esté besoin de forcer ce naturel poisant, paresseux et fay neant. Car, m’estant trouvé en tel degré de fortune des ma naissance, que j’ay eu occasion de m’y arrester, et en tel degré de sens que j’ay senti en avoir occasion, je n’ay rien cerché et n’ay aussi rien pris :

Non agimur tumidis velis Aquilone secundo ;
Non tamen adversis aetatem ducimus austris :
Viribus, ingenio, specie, virtute, loco, re,
Extremi primorum, extremis usque priores.

Je n’ay eu besoin que de la suffisance de me contenter, qui est pour tant un reglement d’ame, à le bien prendre, esgalement difficile en toute sorte de condition, et que par usage nous voyons se trouver plus facilement encores en la necessité qu’en l’abondance ; d’autant à l’advanture que, selon le cours de nos autres passions, la faim des richesses est plus aiguisée par leur usage que par leur disette, et la vertu de la moderation plus rare que celle de la patience. Et n’ay eu besoin que de jouir doucement des biens que Dieu par sa liberalité m’avoit mis entre mains. Je n’ay gousté aucune sorte de travail ennuieux. Je n’ay eu guere en maniement que mes affaires ; ou, si j’en ay eu, ce a esté en condition de les manier à mon heure et à ma façon, commis par gents qui s’en fioient à moi et qui ne me pressoient pas et me connoissoient. Car encores tirent les experts quelque service d’un cheval restif et poussif. Mon enfance mesme a esté conduite d’une façon molle et libre, et exempte de subjection rigoureuse. Tout cela m’a formé une complexion delicate et incapable de sollicitude. Jusques là que j’ayme qu’on me cache mes pertes et les desordres qui me touchent : au chapitre de mes mises, je loge ce que ma nonchalance me couste à nourrir et entretenir.

haec nempe supersunt,
Quae dominum fallant, quae prosint furibus..

J’ayme à ne sçavoir pas le conte de ce que j’ay, pour sentir moins exactement ma perte. Je prie ceux qui vivent avec moy, où l’affection leur manque et les bons effects, de me piper et payer de bonnes apparences. A faute d’avoir assez de fermeté pour souffrir l’importunité des accidens contraires ausquels nous sommes subjects, et pour ne me pouvoir tenir tendu à regler et ordonner les affaires, je nourris autant que je puis en moy cett’opinion, m’abandonnant du tout à la fortune, de prendre toutes choses au pis ; et, ce pis là, me resoudre à le porter doucement et patiemment. C’est à cela seul que je travaille, et le but auquel j’achemine tous mes discours. A un danger, je ne songe pas tant comment j’en eschaperay, que combien peu il importe que j’en eschappe. Quand j’y demeurerois, que seroit-ce ? Ne pouvant reigler les evenemens, je me reigle moy-mesme, et m’applique à eux, s’ils ne s’appliquent à moy. Je n’ay guiere d’art pour sçavoir gauchir la fortune et luy eschapper ou la forcer, et pour dresser et conduire par prudence les choses à mon poinct. J’ay encore moins de tolerance pour supporter le soing aspre et penible qu’il faut à cela. Et la plus penible assiete pour moy, c’est estre suspens és choses qui pressent et agité entre la crainte et l’esperance. Le deliberer, voire és choses plus legieres, m’importune ; et sens mon esprit plus empesché à souffrir le branle et les secousses diverses du doute et de la consultation, qu’à se rassoir et resoudre à quelque party que ce soit, apres que la chance est livrée. Peu de passions m’ont troublé le sommeil ; mais, des deliberations, la moindre me le trouble. Tout ainsi que des chemins, j’en evite volontiers les costez pandans et glissans, et me jette dans le battu le plus boueux et enfondrant, d’où je ne puisse aller plus bas, et y cherche seurté : aussy j’ayme les malheurs tous purs, qui ne m’exercent et tracassent plus apres l’incertitude de leur rabillage, et qui, du premier saut, me poussent droictement en la souffrance : dubia plus torquent mala. Aux evenemens je me porte virilement ; en la conduicte, puerillement. L’horreur de la cheute me donne plus de fiebvre que le coup. Le jeu ne vaut pas la chandelle. L’avaritieux a plus mauvais conte de sa passion que n’a le pauvre, et le jaloux que le cocu. Et y a moins de mal souvant à perdre sa vigne qu’à la plaider. La plus basse marche est la plus ferme. C’est le siege de la constance. Vous n’y avez besoing que de vous. Elle se fonde là, et appuye toute en soy. Cet exemple d’un gentil’homme que plusieurs ont cogneu, a il pas quelque air philosophique ? Il se marya bien avant en l’aage, ayant passé en bon compaignon sa jeunesse : grand diseur, grand gaudisseur. Se souvenant combien la matiere de cornardise luy avoit donné dequoy parler et se moquer des autres, pour se mettre à couvert, il espousa une femme qu’il print au lieu où chacun en trouve pour son argent, et dressa avec elle ses alliances : Bon jour, putain.–Bon jour, cocu’ Et n’est chose dequoy plus souvent et ouvertement il entretint chez luy les survenans, que de ce sien dessein : par où il bridoit les occultes caquets des moqueurs et esmoussoit la pouinte de ce reproche. Quant à l’ambition, qui est voisine de la presumption, ou fille plustost, il eut fallu, pour m’advancer, que la fortune me fut venu querir par le poing. Car, de me mettre en peine pour un’esperance incertaine et me soubmettre à toutes les difficultez qui accompaignent ceux qui cerchent à se pousser en credit sur le commencement de leur progrez, je ne l’eusse sçeu faire ;

spem pretio non emo.

Je m’atache à ce que je voy et que je tiens, et ne m’eslongne guiere du port,

Alter remus aquas, alter tibi radat arenas.

Et puis on arrive peu à ces avancements, qu’en hazardant premierement le sien ; et je suis d’advis que, si ce qu’on a suffit à maintenir la condition en laquelle on est nay et dressé, c’est folie d’en lacher la prise sur l’incertitude de l’augmenter. Celuy à qui la fortune refuse dequoy planter son pied et establir un estre tranquille et reposé, il est pardonnable s’il jette au hazard ce qu’il a, puis qu’ainsi comme ainsi la necessité l’envoye à la queste. Capienda rebus in malis praeceps via est. Et j’excuse plustost un cabdet de mettre sa legitime au vent, que celuy à qui l’honneur de la maison est en charge, qu’on ne peut voir necessiteux qu’à sa faute. J’ay bien trouvé le chemin plus court et plus aisé, avec le conseil de mes bons amis du temps passé, de me défaire de ce desir et de me tenir coy,

Cui sit conditio dulcis sine pulvere palmae :

jugeant aussi bien sainement de mes forces qu’elles n’estoient pas capables de grandes choses, et me souvenant de ce mot du feu Chancelier Olivier, que les François semblent des guenons qui vont grimpant contremont un arbre, de branche en branche, et ne cessent d’aller jusques à ce qu’elles sont arrivées à la plus haute branche, et y monstrent le cul, quand elles y sont.

Turpe est, quod nequeas, capiti committere pondus,
Et pressum inflexo mox dare terga genu.

Les qualitez mesmes qui sont en moy non reprochables, je les trouvois inutiles en ce siecle. La facilité de mes meurs, on l’eut nommée lacheté et foiblesse ; la foy et la conscience s’y feussent trouvées scrupuleuses et superstitieuses ; la franchise et la liberté, importune, inconsiderée et temeraire. A quelque chose sert le mal’heur. Il fait bon naistre en un siecle fort depravé : car, par comparaison d’autruy, vous estes estimé vertueux à bon marché. Qui n’est que parricide en nos jours, et sacrilege, il est homme de bien et d’honneur :

Nunc, si depositum non inficiatur amicus,
Si reddat veterem cum tota aerugine follem,
Prodigiosa fides et Tuscis digna libellis,
Quaeque coronata lustrari debeat agna.

Et ne fut jamais temps et lieu où il y eust pour les princes loyer plus certain et plus grand proposé à la bonté et à la justice. Le premier qui s’avisera de se pousser en faveur et en credit par cette voye là, je suis bien deçeu si, à bon conte, il ne devançe ses compaignons. La force, la violence peuvent quelque chose, mais non pas tousjours tout. Les marchans, les juges de village, les artisans, nous les voyons aller à pair de vaillance et science militaire aveq la noblesse : ils rendent des combats honorables, et publiques et privez ; ils battent, ils defendent villes en nos guerres. Un prince estouffe sa recommendation emmy cette presse. Qu’il reluise d’humanité, de verité, de loyauté, de temperance et sur tout de justice : marques rares, inconnues et exilées. C’est la seule volonté des peuples de quoy il peut faire ses affaires, et nulles autres qualitez ne peuvent tant flatter leur volonté comme celles-là : leur estant bien plus utiles que les autres. Nihil est tam populare quam bonitas. Par cette proportion, je me fusse trouvé grand et rare, comme je me trouve pygmée et populaire à la proportion d’aucuns siecles passez, ausquels il estoit vulgaire, si d’autres plus fortes qualitez n’y concurroient, de voir un homme moderé en ses vengeances, mol au ressentiment des offences, religieux en l’observance de sa parolle, ny double, ny soupple, ny accommodant sa foy à la volonté d’autruy et aux occasions. Plustost lairrois je rompre le col aux affaires que de tordre ma foy pour leur service. Car, quant à cette nouvelle vertu de faintise et de dissimulation qui est à cet heure si fort en credit, je la hay capitallement ; et, de tous les vices, je n’en trouve aucun qui tesmoigne tant de lacheté et bassesse de cœur. C’est un’humeur couarde et servile de s’aller desguiser et cacher sous un masque, et de n’oser se faire veoir tel qu’on est. Par là nos hommes se dressent à la perfidie : estants duicts à produire des parolles fauces, ils ne font pas conscience d’y manquer. Un cœur genereux ne doit desmentir ses pensées ; il se veut faire voir jusques au dedans. Ou tout y est bon, ou au-moins tout y est humein. Aristote estime office de magnanimité hayr et aimer à descouvert, juger, parler avec toute franchise, et, au prix de la verité, ne faire cas de l’approbation ou reprobation d’autruy. Apollonius disoit que c’estoit aux serfs de mantir, et aux libres de dire verité. C’est la premiere et fondamentale partie de la vertu. Il la faut aymer pour elle mesme. Celuy qui dict vray, par ce qu’il y est d’ailleurs obligé et par ce qu’il sert, et qui ne craint point à dire mansonge, quand il n’importe à personne, n’est pas veritable suffisamment. Mon ame, de sa complexion, refuit la menterie et hait mesmes à la penser. J’ay une interne vergongne et un remors piquant, si par fois elle m’eschappe, comme par fois elle m’eschappe, les occasions me surprenant et agitant impremeditéement. Il ne faut pas tousjours dire tout, car ce seroit sottise ; mais ce qu’on dit, il faut qu’il soit tel qu’on le pense, autrement c’est meschanceté. Je ne sçay quelle commodité ils attendent de se faindre et contrefaire sans cesse, si ce n’est de n’en estre pas creus lors mesme qu’ils disent verité ; cela peut tromper une fois ou deux les hommes ; mais de faire profession de se tenir couvert, et se vanter, comme ont faict aucuns de nos princes, qu’ils jetteroient leur chemise au feu si elle estoit participante de leurs vrayes intentions (qui est un mot de l’ancien Metellus Macedonicus), et que, qui ne sçait se faindre, ne sçait pas regner, c’est tenir advertis ceux qui ont à les practiquer, que ce n’est que piperie et mensonge qu’ils disent. Quo quis versutior et callidior est, hoc invisior et suspectior, detracta opinione probitatis. Ce seroit une grande simplesse à qui se lairroit amuser ny au visage ny aux parolles de celuy qui faict estat d’estre tousjours autre au dehors qu’il n’est au dedans, comme faisoit Tibere ; et ne sçay quelle part telles gens peuvent avoir au commerce des hommes, ne produisans rien qui soit reçeu pour contant. Qui est desloyal envers la verité l’est aussi envers le mensonge. Ceux qui, de nostre temps, ont considéré, en l’establissement du devoir d’un prince, le bien de ses affaires seulement, et l’ont preferé au soin de sa foy et conscience, diroyent quelque chose à un prince de qui la fortune auroit rangé à tel point les affaires que pour tout jamais il les peut establir par un seul manquement et faute à sa parole. Mais il n’en va pas ainsi. On rechoit souvent en pareil marché ; on faict plus d’une paix, plus d’un traitté en sa vie. Le gain qui les convie à la premiere desloyauté (et quasi toujours il s’en presente comme à toutes autres meschancetez : les sacrileges, les meurtres, les rebellions, les trahisons s’entreprenent pour quelque espece de fruit), mais ce premier gain apporte infinis dommages suivants, jettant ce prince hors de tout commerce et de tout moyen de negotiation par l’example de cette infidelité. Solyman, de la race des Ottomans, race peu soigneuse de l’observance des promesses et paches, lors que, de mon enfance, il fit descendre son armée à Ottrente, ayant sçeu que Mercurin de Gratinare et les habitants de Castro estoyent detenus prisonniers, apres avoir rendu la place, contre ce qui avoit esté capitulé aveq eux, manda qu’on les relaschat ; et qu’ayant en main d’autres grandes entreprinses en cette contrée là, cette desloyauté, quoy qu’elle eut quelque apparence d’utilité presente, luy apporteroit pour l’avenir un descri et une desfiance d’infini prejudice. Or, de moy, j’ayme mieux estre importun et indiscret que flateur et dissimulé. J’advoue qu’il se peut mesler quelque pointe de fierté et d’opiniastreté à se tenir ainsin entier et descouvert sans consideration d’autruy ; et me semble que je deviens un peu plus libre où il le faudroit moins estre, et que je m’eschaufe par l’opposition du respect. Il peut estre aussi que je me laisse aller apres ma nature, à faute d’art. Presentant aux grands cette mesme licence de langue et de contenance que j’apporte de ma maison, je sens combien elle decline vers l’indiscretion et incivilité. Mais, outre ce que je suis ainsi faict, je n’ay pas l’esprit assez souple pour gauchir à une prompte demande et pour en eschaper par quelque destour, ny pour feindre une verité, ny assez de memoire pour la retenir ainsi feinte, ny certes assez d’asseurance pour la maintenir ; et fois le brave par foiblesse. Parquoy je m’abandonne à la nayfveté et à tousjours dire ce que je pense, et par complexion, et par discours, laissant à la fortune d’en conduire l’evenement. Aristippus disoit le principal fruit qu’il eut tiré de la philosophie, estre qu’il parloit librement et ouvertement à chacun. C’est un outil de merveilleux service que la memoire, et sans lequel le jugement faict bien à peine son office : elle me manque du tout. Ce qu’on me veut proposer, il faut que ce soit à parcelles. Car de respondre à un propos où il y eut plusieurs divers chefs, il n’est pas en ma puissance. Je ne sçaurois recevoir une charge sans tablettes. Et, quand j’ay un propos de consequence à tenir, s’il est de longue haleine, je suis reduit à cette vile et miserable necessité d’apprendre par cœur mot à mot ce que j’ay à dire ; autrement je n’auroy ny façon ny asseurance, estant en crainte que ma memoire vint à me faire un mauvais tour. Mais ce moïen m’est non moins difficile. Pour aprandre trois vers, il me faut trois heures ; et puis, en un mien ouvrage, la liberté et authorité de remuer l’ordre, de changer un mot, variant sans cesse la matiere, la rend plus malaisée à concevoir. Or, plus je m’en defie, plus elle se trouble ; elle me sert mieux par rencontre, il faut que je la solicite nonchalamment : car, si je la presse, elle s’estonne ; et, depuis qu’ell’a commencé à chanceler, plus je la sonde, plus elle s’empestre et embarrasse ; elle me sert à son heure, non pas à la mienne. Cecy que je sens en la memoire, je le sens en plusieurs autres parties. Je fuis le commandement, l’obligation et la contrainte. Ce que je fais ayséement et naturellement, si je m’ordonne de le faire par une expresse et prescrite ordonnance, je ne le sçay plus faire. Au corps mesme, les membres qui ont quelque liberté et jurisdiction plus particuliere sur eux, me refusent par fois leur obeyssance, quand je les destine et attache à certain point et heure de service necessaire. Cette preordonnance contrainte et tyrannique les rebute ; ils se croupissent d’effroy ou de despit, et se transissent. Autresfois, estant en lieu où c’est discourtoisie barbaresque de ne respondre à ceux qui vous convient à boire, quoi qu’on m’y traitast avec toute liberté, j’essaiay de faire le bon compaignon en faveur des dames qui estoyent de la partie, selon l’usage du pays. Mais il y eust du plaisir, car cette menasse et preparation d’avoir à m’efforcer outre ma coustume et mon naturel, m’estoupa de maniere le gosier, que je ne sçeuz avaller une seule goute, et fus privé de boire pour le besoing mesme de mon repas. Je me trouvay saoul et desalteré par tant de brevage que mon imagination avoit preoccupé. Cet effaict est plus apparent en ceux qui ont l’imagination plus vehemente et puissante ; mais il est pourtant naturel, et n’est aucun qui ne s’en ressante aucunement. On offroit à un excellant archer condamné à la mort de luy sauver la vie, s’il vouloit faire voir quelque notable preuve de son art : il refusa de s’en essayer, craignant que la trop grande contention de sa volonté luy fit fourvoier la main, et qu’au lieu de sauver sa vie, il perdit encore la reputation qu’il avoit acquise au tirer de l’arc. Un homme qui pense ailleurs, ne faudra point, à un pousse pres, de refaire tousjours un mesme nombre et mesure de pas au lieu où il se promene ; mais, s’il y est avec attention de les mesurer et conter, il trouvera que, ce qu’il faisoit par nature et par hazard, il ne le faira pas si exactement par dessein. Ma librerie, qui est des belles entre les libreries de village, est assise à un coin de ma maison : s’il me tombe en fantasie chose que j’y veuille aller cercher ou escrire, de peur qu’elle ne m’eschappe en traversant seulement ma court, il faut que je la donne en garde à quelqu’autre. Si je m’enhardis, en parlant, à me destourner tant soit peu de mon fil, je ne faux jamais de le perdre : qui faict que je me tiens, en mes discours, contraint, sec et resserré. Les gens qui me servent, il faut que je les appelle par le nom de leurs charges ou de leur pays, car il m’est tres-malaisé de retenir des noms. Je diray bien qu’il a trois syllabes, que le son en est rude, qu’il commence ou termine par telle lettre. Et, si je durois à vivre long temps, je ne croy pas que je n’oubliasse mon nom propre, comme ont faict d’autres. Messala Corvinus fut deux ans n’ayant trace aucune de memoire ; ce qu’on dict aussi de George Trapezonce ; et, pour mon interest, je rumine souvent quelle vie c’estoit que la leur, et si sans cette piece il me restera assez pour me soustenir avec quelque aisance ; et, y regardant de pres, je crains que ce defaut, s’il est parfaict, perde toutes les functions de l’ame : Memoria certe non modo philosophiam, sed omnis vitae usum omnesque artes una maxime continet.

Plenus rimarum sum, hac atque illac effluo.

Il m’est advenu plus d’une fois d’oublier le mot du guet que j’avois trois heures auparavant donné ou receu d’un autre, et d’oublier où j’avoi caché ma bourse, quoy qu’en die Cicero. Je m’aide à perdre ce que je serre particulierement. C’est le receptacle et l’estuy de la science que la memoire : l’ayant si deffaillante, je n’ay pas fort à me plaindre, si je ne sçay guiere. Je sçay en general le nom des arts et ce dequoy elles traictent, mais rien au delà. Je feuillette les livres, je ne les estudie pas : ce qui m’en demeure, c’est chose que je ne reconnois plus estre d’autruy ; c’est cela seulement dequoy mon jugement a faict son profict, les discours et les imaginations dequoy il s’est imbu ; l’autheur, le lieu, les mots et autres circonstances, je les oublie incontinent. Et suis si excellent en l’oubliance que mes escrits mesmes et compositions, je ne les oublie pas moins que le reste. On m’allegue tous les coups à moy-mesme sans que je le sente. Qui voudroit sçavoir d’où sont les vers et exemples que j’ay icy entassez, me mettroit en peine de le luy dire ; et si ne les ay mendiez qu’és portes connues et fameuses, ne me contentant pas qu’ils fussent riches, s’ils ne venoient encore de main riche et honorable : l’authorité y concurre quant et la raison. Ce n’est pas grand merveille si mon livre suit la fortune des autres livres et si ma memoire desempare ce que j’escry comme ce que je ly, et ce que je donne comme ce que je reçoy. Outre le deffaut de la memoire, j’en ay d’autres qui aydent beaucoup à mon ignorance. J’ay l’esprit tardif et mousse ; le moindre nuage luy arreste sa pointe, en façon que (pour exemple) je ne luy proposay jamais enigme si aisé qu’il sçeut desvelopper. Il n’est si vaine subtilité qui ne m’empesche. Aux jeux, où l’esprit a sa part, des échets, des cartes, des dames et autres, je n’y comprens que les plus grossiers traicts. L’apprehension, je l’ay lente et embrouillée ; mais ce qu’elle tient une fois, elle le tient bien et l’embrasse bien universellement, estroitement et profondement, pour le temps qu’elle le tient. J’ay la veue longue, saine et entiere, mais qui se lasse aiséement au travail et se charge ; à cette occasion, je ne puis avoir long commerce avec les livres que par le moyen du service d’autruy. Le jeune Pline instruira ceux qui ne l’ont essayé, combien ce retardement est important à ceux qui s’adonnent à cette occupation. Il n’est point ame si chetifve et brutale en laquelle on ne voye reluire quelque faculté particuliere ; il n’y en a point de si ensevelie qui ne face une saillie par quelque bout. Et comment il advienne qu’une ame, aveugle et endormie à toutes autres choses, se trouve vifve, claire et excellente à certain particulier effect, il s’en faut enquerir aux maistres. Mais les belles ames, ce sont les ames universelles, ouvertes et prestes à tout, si non instruites, au moins instruisables : ce que je dy pour accuser la mienne ; car, soit par foiblesse ou nonchalance (et de mettre à nonchaloir ce qui est à nos pieds, ce que nous avons entre-mains, ce qui regarde de plus pres l’usage de la vie, c’est chose bien eslongnée de mon dogme), il n’en est point une si inepte et si ignorante que la mienne de plusieurs telles choses vulgaires et qui ne se peuvent sans honte ignorer. Il faut que j’en conte quelques exemples. Je suis né et nourry aux champs et parmy le labourage ; j’ay des affaires et du mesnage en main, depuis que ceux qui me devançoient en la possession des biens que je jouys, m’ont quitté leur place. Or je ne sçay conter ny à get ny à plume ; la pluspart de nos monnoyes, je ne les connoy pas ; ny ne sçay la difference de l’un grain à l’autre, ny en la terre, ny au grenier, si elle n’est par trop apparente, ny à peine celle d’entre les choux et les laictues de mon jardin. Je n’entens pas seulement les noms des premiers outils du mesnage, ny les plus grossiers principes de l’agriculture, et que les enfans sçavent ; moins aux arts mechaniques, en la trafique et en la connoissance des marchandises, diversité et nature des fruicts, de vins, de viandes ; ny à dresser un oiseau, ny à medeciner un cheval ou un chien. Et, puis qu’il me faut faire la honte toute entière, il n’y a pas un mois qu’on me surprint ignorant dequoy le levain servoit à faire du pain, et que c’estoit que faire cuver du vin. On conjectura anciennement à Athenes une aptitude à la mathematique en celuy à qui on voioit ingenieusement agencer et fagotter une charge de brossailles. Vrayement on tireroit de moy une bien contraire conclusion : car qu’on me donne tout l’apprest d’une cuisine, me voilà à la faim. Par ces traits de ma confession, on en peut imaginer d’autres à mes despens. Mais, quel que je me face connoistre, pourveu que je me face connoistre tel que je suis, je fay mon effect. Et si ne m’excuse pas d’oser mettre par escrit des propos si bas et frivoles que ceux-cy. La bassesse du sujet m’y contrainct. Qu’on accuse, si on veut, mon project ; mais mon progrez, non. Tant y a que, sans l’advertissement d’autruy, je voy assez ce peu que tout cecy vaut et poise, et la folie de mon dessein. C’est prou que mon jugement ne se defferre poinct, duquel ce sont icy les essais :

Nasutus sis usque licet, sis denique nasus,
Quantum noluerit ferre rogatus Athlas,
Et possis ipsum tu deridere Latinum,
Non potes in nugas dicere plura meas,
Ipse ego quam dixi : quid dentem dente juvabit
Rodere ? carne opus est, si satur esse velis.
Ne perdas operam : qui se mirantur, in illos
Virus habe ; nos haec novimus esse nihil.

Je ne suis pas obligé à ne dire point de sottises, pourveu que je ne me trompe pas à les connoistre. Et de faillir à mon escient, cela m’est si ordinaire que je ne faux guere d’autre façon : je ne faux jamais fortuitement. C’est peu de chose de prester à la temerité de mes humeurs les actions ineptes, puis que je ne me puis pas deffendre d’y prester ordinairement les vitieuses. Je vis un jour, à Barleduc, qu’on presentoit au Roy François second, pour la recommandation de la memoire de René, Roy de Sicile, un pourtraict qu’il avoit luy-mesmes fait de soy. Pourquoy n’est-il loisible de mesme à un chacun de se peindre de la plume, comme il se peignoit d’un creon ? Je ne veux donc pas oublier encor cette cicatrice, bien mal propre à produire, en public : c’est l’irresolution, defaut tres-incommode à la negociation des affaires du monde. Je ne sçay pas prendre party és entreprinses doubteuses :

Ne si, ne no, nel cor mi suona intero.

Je sçay bien soustenir une opinion, mais non pas la choisir. Par ce que és choses humaines, à quelque bande qu’on panche, il se presente force apparences qui nous y confirment (et le philosophe Chrysippus disoit qu’il ne vouloit apprendre de Zenon et Cleanthez, ses maistres, que les dogmes simplement : car, quant aux preuves et raisons, qu’il en fourniroit assez de luy mesme), de quelque costé que je me tourne, je me fournis tousjours assez de cause et de vraysemblance pour m’y maintenir. Ainsi j’arreste chez moi le doubte et la liberté de choisir, jusques à ce que l’occasion me presse. Et lors, à confesser la verité, je jette le plus souvent la plume au vent, comme on dict, et m’abandonne à la mercy de la fortune : une bien legere inclination et circonstance m’emporte,

Dum in dubio est animus, paulo momento huc atque illuc impellitur.

L’incertitude de mon jugement est si également balancée en la pluspart des occurrences que je compromettrois volontiers à la decision du sort et des dets ; et remarque avec grande consideration de nostre foiblesse humaine les exemples que l’histoire divine mesme nous a laissez de cet usage de remettre à la fortune et au hazard la determination des élections és choses doubteuses :

sors cecidit super Mathiam.

La raison humaine est un glaive double et dangereux. Et en la main mesme de Socrates, son plus intime et plus familier amy, voyez à quant de bouts c’est un baston. Ainsi, je ne suis propre qu’à suyvre, et me laisse aysément emporter à la foule : je ne me fie pas assez en mes forces pour entreprendre de commander, ny guider ; je suis bien aise de trouver mes pas trassez par les autres. S’il faut courre le hazard d’un chois incertain, j’ayme mieux que ce soit soubs tel, qui s’asseure plus de ses opinions et les espouse plus que je ne fay les miennes, ausquelles je trouve le fondement et le plant glissant. Et si ne suis pas trop facile au change, d’autant que j’apperçois aux opinions contraires une pareille foiblesse.

Ipsa consuetudo assentiendi periculosa esse videtur et lubrica.

Notamment aux affaires politiques, il y a un beau champ ouvert au bransle et à la contestation :

Justa pari premitur veluti cum pondere libra
Prona, nec hac plus parte sedet, nec surgit ab illa.

Les discours de Machiavel, pour exemple, estoient assez solides pour le subject, si y a-il eu grand aisance à les combattre ; et ceux qui l’ont faict, n’ont pas laissé moins de facilité à combatre les leurs. Il s’y trouveroit tousjours, à un tel argument, dequoy y fournir responses, dupliques, repliques, tripliques, quadrupliques, et cette infinie contexture de debats que nostre chicane a alongé tant qu’elle a peu en faveur des procez,

Caedimur, et totidem plagis consumimus hostem,

les raisons n’y ayant guere autre fondement que l’experience, et la diversité des evenements humains nous presentant infinis exemples à toute sorte de formes. Un sçavant personnage de nostre temps dit qu’en nos almanacs, où ils disent chaud, qui voudra dire froid, et, au lieu de sec, humide, et mettre tousjours le rebours de ce qu’ils pronostiquent, s’il devoit entrer en gageure de l’evenement de l’un ou l’autre, qu’il ne se soucieroit pas quel party il print, sauf és choses où il n’y peut eschoir incertitude, comme de promettre à Noel des chaleurs extremes, et à la sainct Jean des rigueurs de l’hiver. J’en pense de mesmes de ces discours politiques : à quelque rolle qu’on vous mette, vous avez aussi beau jeu que vostre compagnon, pourveu que vous ne venez à choquer les principes trop grossiers et apparens. Et pourtant, selon mon humeur, és affaires publiques, il n’est aucun si mauvais train, pourveu qu’il aye de l’aage et de la constance, qui ne vaille mieux que le changement et le remuement. Nos meurs sont extremement corrompues, et panchent d’une merveilleuse inclination vers l’empirement ; de nos loix et usances, il y en a plusieurs barbares et monstrueuses : toutesfois, pour la difficulté de nous mettre en meilleur estat et le danger de ce crollement, si je pouvoy planter une cheville à nostre roue et l’arrester en ce point, je le ferois de bon cœur :

nunquam adeo faedis adeoque pudendis
Utimur exemplis ut non pejora supersint.

Le pis que je trouve en nostre estat, c’est l’instabilité, et que nos loix, non plus que nos vestemens, ne peuvent prendre aucune forme arrestée. Il est bien aisé d’accuser d’imperfection une police, car toutes choses mortelles en sont pleines ; il est bien aisé d’engendrer à un peuple le mespris de ses anciennes observances : jamais homme n’entreprint cela qui n’en vint à bout ; mais d’y restablir un meilleur estat en la place de celuy qu’on a ruiné, à cecy plusieurs se sont morfondus, de ceux qui l’avoient entreprins. Je fay peu de part à ma prudence de ma conduite : je me laisse volontiers mener à l’ordre public du monde. Heureux peuple, qui faict ce qu’on commande mieux que ceux qui commandent, sans se tourmenter des causes ; qui se laisse mollement rouller apres le roullement celeste. L’obeyssance n’est pure ny tranquille en celui qui raisonne et qui plaide. Somme, pour revenir à moy, ce seul par où je m’estime quelque chose, c’est ce en quoy jamais homme ne s’estima deffaillant : ma recommendation est vulgaire, commune et populaire, car qui a jamais cuidé avoir faute de sens ? Ce seroit une proposition qui impliqueroit en soy de la contradiction : c’est une maladie qui n’est jamais où elle se voit ; ell’est bien tenace et forte, mais laquelle pourtant le premier rayon de la veue du patient perce et dissipe, comme le regard du soleil un brouillas opaque ; s’accuser seroit s’excuser en ce subject là ; et se condamner, ce seroit s’absoudre. Il ne fut jamais crocheteur ny femmelette qui ne pensast avoir assez de sens pour sa provision. Nous reconnoissons ayséement és autres l’advantage du courage, de la force corporelle, de l’experience, de la disposition, de la beauté ; mais l’advantage du jugement, nous ne le cedons à personne ; et les raisons qui partent du simple discours naturel en autruy, il nous semble qu’il n’a tenu qu’à regarder de ce costé là, que nous les ayons trouvées. La science, le stile, et telles parties que nous voyons és ouvrages estrangers, nous touchons bien aiséement si elles surpassent les nostres ; mais les simples productions de l’entendement, chacun pense qu’il estoit en luy de les rencontrer toutes pareilles, et en apperçoit malaisement le poids et la difficulté, si ce n’est, et à peine, en une extreme et incomparable distance. Ainsi, c’est une sorte d’exercitation de laquelle je dois esperer fort peu de recommandation et de louange, et une maniere de composition de peu de nom. Et puis, pour qui escrivez vous ? Les sçavans à qui touche la jurisdiction livresque, ne connoissent autre prix que de la doctrine, et n’advouent autre proceder en noz esprits que celuy de l’erudition et de l’art : si vous avez pris l’un des Scipions pour l’autre, que vous reste il à dire qui vaille ? Qui ignore Aristote, selon eux s’ignore quand et quand soymesme. Les ames communes et populaires ne voyent pas la grace et le pois d’un discours hautain et deslié. Or, ces deux especes occupent le monde. La tierce, à qui vous tombez en partage, des ames reglées et fortes d’elles-mesmes, est si rare que justement elle n’a ny nom, ny rang entre nous : c’est à demy temps perdu, d’aspirer et de s’efforcer à luy plaire. On dit communément que le plus juste partage que nature nous aye fait de ses graces, c’est celuy du sens : car il n’est aucun qui ne se contente de ce qu’elle luy en a distribué. N’est-ce pas raison ? Qui verroit au delà, il verroit au delà de sa veue. Je pense avoir les opinions bonnes et saines ; mais qui n’en croit autant des siennes ? L’une des meilleures preuves que j’en aye, c’est le peu d’estime que je fay de moy : car si elles n’eussent esté bien asseurées, elles se fussent aisément laissées piper à l’affection que je me porte singuliere, comme celuy qui la ramene quasi toute à moy, et qui ne l’espands gueres hors de là. Tout ce que les autres en distribuent à une infinie multitude d’amis et de connoissans, à leur gloire, à leur grandeur, je le rapporte tout au repos de mon esprit et à moy. Ce qui m’en eschappe ailleurs, ce n’est pas proprement de l’ordonnance de mon discours,

mihi nempe valere et vivere doctus.

Or mes opinions, je les trouve infiniement hardies et constantes à condamner mon insuffisance. De vray, c’est aussi un subject auquel j’exerce mon jugement autant qu’à nul autre. Le monde regarde tousjours vis à vis ; moy, je replie ma veue au dedans, je la plante, je l’amuse là. Chacun regarde devant soy ; moy, je regarde dedans moy : je n’ay affaire qu’à moy, je me considere sans cesse, je me contrerolle, je me gouste. Les autres vont tousjours ailleurs, s’ils y pensent bien ; ils vont tousjours avant,

nemo in sese tentat descendere,

moy je me roulle en moy mesme. Cette capacité de trier le vray, quelle qu’elle soit en moy, et cett’humeur libre de n’assubjectir aisément ma creance, je la dois principalement à moy : car les plus fermes imaginations que j’aye, et generalles, sont celles qui, par maniere de dire, nasquirent avec moy. Elles sont naturelles et toutes miennes. Je les produisis crues et simples, d’une production hardie et forte, mais un peu trouble et imparfaicte ; depuis je les ay establies et fortifiées par l’authorité d’autruy, et par les sains discours des anciens, ausquels je me suis rencontré conforme en jugement : ceux-là m’en ont assuré la prinse, et m’en ont donné la jouyssance et possession plus entiere. La recommandation que chacun cherche, de vivacité et promptitude d’esprit, je la pretends du reglement ; d’une action esclatante et signalée, ou de quelque particuliere suffisance, je la pretends de l’ordre, correspondance et tranquillité d’opinions et de meurs. Omnino, si quidquam est decorum, nihil est profecto magis quam aequabilitas universae vitae, tum singularum actionum : quam conservare non possis, si, aliorum naturam imitans, omittas tuam. Voylà donq jusques où je me sens coulpable de cette premiere partie, que je disois estre au vice de la presomption. Pour la seconde, qui consiste à n’estimer poinct assez autruy, je ne sçay si je m’en puis si bien excuser ; car, quoy qu’il m’en couste, je delibere de dire ce qui en est. A l’adventure que le commerce continuel que j’ay avec les humeurs anciennes, et l’Idée de ces riches ames du temps passé me dégouste et d’autruy et de moy mesme ; ou bien que, à la verité, nous vivons en un siecle qui ne produict les choses que bien mediocres : tant y a que je ne connoy rien digne de grande admiration : aussi ne connoy-je guiere d’hommes avec telle privauté qu’il faut pour en pouvoir juger ; et ceux ausquels ma condition me mesle plus ordinairement, sont, pour la pluspart, gens qui ont peu de soing de la culture de l’ame, et ausquels on ne propose toute beatitude que l’honneur, et pour toute perfection que la vaillance. Ce que je voy de beau en autruy, je le loue et l’estime tres-volontiers : voire j’encheris souvent sur ce que j’en pense, et me permets de mentir jusques là. Car je ne sçay point inventer un subject faux. Je tesmoigne volontiers de mes amis, par ce que j’y trouve de louable ; et d’un pied de valeur, j’en fay volontiers un pied et demy. Mais de leur prester les qualitez qui n’y sont pas, je ne puis, ny les defendre ouvertement des imperfections qu’ils ont. Voyre à mes ennemis je rens nettement ce que je dois de tesmoignage d’honneur. Mon affection se change ; mon jugement, non. Et ne confons point ma querelle avec autres circonstances qui n’en sont pas ; et suis tant jaloux de la liberté de mon jugement, que malayséement la puis-je quitter pour passion que ce soit. Je me fay plus d’injure en mentant, que je n’en fay à celuy de qui je mens. On remarque cette louable et genereuse coustume de la nation Persienne, qu’ils parlent de leurs mortels ennemis et qu’ils font guerre à outrance honorablement et equitablement, autant que porte le merite de leur vertu. Je connoy des hommes assez, qui ont diverses parties belles : qui, l’esprit ; qui, le cœur ; qui, l’adresse ; qui, la conscience ; qui, le langage ; qui, une science ; qui un’autre. Mais de grand homme en general, et ayant tant de belles pieces ensemble, ou une en tel degré d’excellence, qu’on s’en doive estonner, ou le comparer à ceux que nous honorons du temps passé, ma fortune ne m’en a fait voir nul. Et le plus grand que j’aye conneu au vif, je di des parties naturelles de l’ame, et le mieux né, c’estoit Estienne de la Boitie : c’estoit vrayement un’ame pleine et qui montroit un beau visage à tout sens ; un’ame à la vieille marque et qui eut produit de grands effects, si sa fortune l’eust voulu, ayant beaucoup adjousté à ce riche naturel par science et estude. Mais je ne sçay comment il advient (et si advient sans doubte) qu’il se trouve autant de vanité et de foiblesse d’entendement en ceux qui font profession d’avoir plus de suffisance, qui se meslent de vacations lettrées et de charges qui despendent des livres, qu’en nulle autre sorte de gens : ou bien par ce que on requiert et attend plus d’eux, et qu’on ne peut excuser en eux les fautes communes ; ou bien que l’opinion du sçavoir leur donne plus de hardiesse de se produire et de se descouvrir trop avant, par où ils se perdent et se trahissent. Comme un artisan tesmoigne bien mieux sa bestise en une riche matiere qu’il ait entre mains, s’il l’accommode et mesle sottement et contre les regles de son ouvrage, qu’en une matiere vile, et s’offence l’on plus du defaut en une statue d’or qu’en celle qui est de plastre. Ceux-cy en font autant lors qu’ils mettent en avant des choses qui, d’elles mesmes et en leur lieu, seroyent bonnes : car ils s’en servent sans discretion, faisans honneur à leur memoire aux despens de leur entendement : ils font honneur à Cicero, à Galien, à Ulpian et à saint Hierosme, et eux se rendent ridicules. Je retombe volontiers sur ce discours de l’ineptie de nostre institution : elle a eu pour sa fin de nous faire non bons et sages, mais sçavans : elle y est arrivée. Elle ne nous a pas apris de suyvre et embrasser la vertu et la prudence, mais elle nous en a imprimé la derivation et l’etymologie. Nous sçavons decliner vertu, si nous ne sçavons l’aymer ; si nous ne sçavons que c’est que prudence par effect et par experience, nous le sçavons par jargon et par cœur. De nos voisins, nous ne nous contentons pas d’en sçavoir la race, les parentelles et les alliances, nous les voulons avoir pour amis et dresser avec eux quelque conversation et intelligence : elle nous a apris les deffinitions, les divisions et particions de la vertu, comme des surnoms et branches d’une genealogie, sans avoir autre soing de dresser entre nous et elle quelque pratique de familiarité et privée acointance. Elle nous a choisi pour nostre aprentissage non les livres qui ont les opinions plus saines et plus vrayes, mais ceux qui parlent le meilleur Grec et Latin, et, parmy ses beaux mots, nous a fait couler en la fantasie les plus vaines humeurs de l’antiquité. Une bonne institution, elle change le jugement et les meurs, comme il advint à Polemon, ce jeune homme Grec debauché, qui, estant allé ouïr par rencontre une leçon de Xenocrates, ne remerqua pas seulement l’eloquence et la suffisance du lecteur, et n’en rapporta pas seulement en la maison la science de quelque belle matiere, mais un fruit plus apparent et plus solide, qui fut le soudain changement et amendement de sa premiere vie. Qui a jamais senti un tel effect de nostre discipline ?

faciasne quod olim
Mutatus Polemon ? ponas insignia morbi,
Fasciolas, cubital, focalia, potus ut ille
Dicitur ex collo furtim carpsisse coronas,
Postquam est impransi correptus voce magistri ?

La moins desdeignable condition de gents me semble estre celle qui par simplesse tient le dernier rang, et nous offrir un commerce plus reglé. Les meurs et les propos des paysans, je les trouve communéement plus ordonnez selon la prescription de la vraie philosophie, que ne sont ceux de nos philosophes. Plus sapit vulgus, quia tantum quantum opus est, sapit.

Les plus notables hommes que j’aye jugé par les apparences externes (car, pour les juger à ma mode, il les faudroit esclerer de plus pres), ce ont esté, pour le faict de la guerre et suffisance militaire, le Duc de Guyse, qui mourut à Orleans, et le feu Mareschal Strozzi. Pour gens suffisans, et de vertu non commune, Olivier et l’Hospital, Chanceliers de France. Il me semble aussi de la Poesie qu’elle a eu sa vogue en nostre siecle. Nous avons foison de bons artisans de ce mestier-là : Aurat, Beze, Buchanan, l’Hospital, Mont-doré, Turnebus. Quant aux François, je pense qu’ils l’ont montée au plus haut degré où elle sera jamais ; et, aux parties en quoy Ronsart et du Bellay excellent, je ne les treuve guieres esloignez de la perfection ancienne. Adrianus Turnebus sçavoit plus et sçavoit mieux ce qu’il sçavoit, que homme qui fut de son siecle, ny loing au delà. Les vies du Duc d’Albe dernier mort et de nostre connestable de Mommorancy ont esté des vies nobles et qui ont eu plusieurs rares ressemblances de fortune ; mais la beauté et la gloire de la mort de cettuy-cy, à la veue de Paris et de son Roy, pour leur service, contre ses plus proches, à la teste d’une armée victorieuse par sa conduitte, et d’un coup de main, en si extreme vieillesse, me semble meriter qu’on la loge entre les remercables evenemens de mon temps. Comme aussi la constante bonté, douceur de meurs et facilité consciencieuse de monsieur de la Noue, en une telle injustice de parts armées, vraie eschole de trahison, d’inhumanité et de brigandage, ou tousjours il s’est nourry, grand homme de guerre et tres-experimenté. J’ay pris plaisir à publier en plusieurs lieux l’esperance que j’ay de Marie de Gournay le Jars, ma fille d’alliance : et certes aymée de moy beaucoup plus que paternellement, et enveloppée en ma retraitte et solitude, comme l’une des meilleures parties de mon propre estre. Je ne regarde plus qu’elle au monde. Si l’adolescence peut donner presage, cette ame sera quelque jour capable des plus belles choses, et entre autres de la perfection de cette tres-saincte amitié où nous ne lisons point que son sexe ait peu monter encores : la sincerité et la solidité de ses meurs y sont desjà bastantes, son affection vers moy plus que sur-abondante, et telle en somme qu’il n’y a rien à souhaiter, sinon que l’apprehension qu’elle a de ma fin, par les cinquante et cinq ans ausquels elle m’a rencontré, la travaillast moins cruellement. Le jugement qu’elle fit des premiers Essays, et femme, et en ce siecle, et si jeune, et seule en son quartier, et la vehemence fameuse dont elle m’ayma et me desira long temps sur la seule estime qu’elle en print de moy, avant m’avoir veu, c’est un accident de tres-digne consideration. Les autres vertus ont eu peu ou point de mise en cet aage ; mais la vaillance, elle est devenue populaire par noz guerres civiles, et en cette partie il se trouve parmy nous des ames fermes jusques à la perfection, et en grand nombre, si que le triage en est impossible à faire. Voylà tout ce que j’ay connu, jusques à cette heure.

Michel de Montaigne, Essais

Les illustrations

De la Præsumption de Michel de Montaigne - Essais - Livre 2 Chapitre 17 - Édition de Bordeaux - 001
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Michel de Montaigne - Portrait par François Quesnel - 1588
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Le pdf

Le pdf de l’essai De la Præsumption de Michel de Montaigne est disponible dans le recueil Essais :