La vidéo

Le texte

Ponto

Je dis à mon chien noir : — Viens, Ponto, viens-nous-en ! —
Et je vais dans les bois, mis comme un paysan ;
Je vais dans les grands bois, lisant dans les vieux livres.
L’hiver, quand la ramée est un écrin de givres,
Ou l’été, quand tout rit, même l’aurore en pleurs,
Quand toute l’herbe n’est qu’un triomphe de fleurs,
Je prends Froissart, Montluc, Tacite, quelque histoire,
Et je marche, effaré des crimes de la gloire.
Hélas ! l’horreur partout, même chez les meilleurs !
Toujours l’homme en sa nuit trahi par ses veilleurs !
Toutes les grandes mains, hélas ! de sang rougies !
Alexandre ivre et fou, César perdu d’orgies,
Et, le poing sur Didier, le pied sur Witikind,
Charlemagne souvent semblable à Charles-Quint ;
Caton de chair humaine engraissant la murène ;
Titus crucifiant Jérusalem ; Turenne,
Héros, comme Bayard et comme Catinat,
À Nordlingue, bandit dans le Palatinat ;
Le duel de Jarnac, le duel de Carrouge ;
Louis neuf tenaillant les langues d’un fer rouge ;
Cromwell trompant Milton, Calvin brûlant Servet.
Que de spectres, ô gloire ! autour de ton chevet !
Ô triste humanité, je fuis dans la nature !
Et, pendant que je dis : — Tout est leurre, imposture.
Mensonge, iniquité, mal de splendeur vêtu ! —
Mon chien Ponto me suit. Le chien, c’est la vertu
Qui, ne pouvant se faire homme, s’est faite bête.
Et Ponto me regarde avec son œil honnête.

Marine-Terrace, 3 mars 1855.

Victor Hugo, Les Contemplations

Les illustrations

Ponto de Victor Hugo dans Les Contemplations - Peinture de Briton Riviere - Fidelity - 1869
Ponto de Victor Hugo dans Les Contemplations - Peinture de Briton Riviere - Fidelity - 1869
Victor Hugo - Lithographie d'après nature par Jean-Baptiste Adolphe Lafosse - Député de l'Assemblée Nationale - 1849
Victor Hugo - Lithographie d'après nature par Jean-Baptiste Adolphe Lafosse - Député de l'Assemblée Nationale - 1849

Le pdf

Le pdf du poème Ponto de Victor Hugo est disponible dans le recueil Les Contemplations :