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Billet du Matin

Si les liens des cœurs ne sont pas des mensonges,
Oh ! dites, vous devez avoir eu de doux songes,
Je n’ai fait que rêver de vous toute la nuit.
Et nous nous aimions tant ! vous me disiez : — Tout fuit,
Tout s’éteint, tout s’en va ; ta seule image reste. —
Nous devions être morts dans ce rêve céleste ;
Il semblait que c’était déjà le paradis.
Oh ! oui, nous étions morts, bien sûr ; je vous le dis.
Nous avions tous les deux la forme de nos âmes.
Tout ce que l’un de l’autre ici-bas nous aimâmes
Composait notre corps de flamme et de rayons,
Et, naturellement, nous nous reconnaissions.
Il nous apparaissait des visages d’aurore
Qui nous disaient : C’est moi ! — la lumière sonore
Chantait ; et nous étions des frissons et des voix.
Vous me disiez : Écoute ! et je répondais : Vois !
Je disais : Viens-nous-en dans les profondeurs sombres ;
Vivons ; c’est autrefois que nous étions des ombres.
Et, mêlant nos appels et nos cris : — Viens ! oh ! viens ! —
Et moi, je me rappelle, et toi, tu te souviens. —
Éblouis, nous chantions : — C’est nous-mêmes qui sommes
Tout ce qui nous semblait, sur la terre des hommes,
Bon, juste, grand, sublime, ineffable et charmant ;
Nous sommes le regard et le rayonnement ;
Le sourire de l’aube et l’odeur de la rose,
C’est nous ; l’astre est le nid où notre aile se pose ;
Nous avons l’infini pour sphère et pour milieu,
L’éternité pour l’âge ; et notre amour, c’est Dieu.

Paris, juin 18…

Victor Hugo, Les Contemplations

Les illustrations

Le pdf

Le pdf du poème Billet du Matin de Victor Hugo est disponible dans le recueil Les Contemplations :