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Le texte

Un Spectre m’Attendait…

Un spectre m’attendait dans un grand angle d’ombre,
Et m’a dit :

— Le muet habite dans le sombre.
L’infini rêve, avec un visage irrité.
L’homme parle et dispute avec l’obscurité,
Et la larme de l’œil rit du bruit de la bouche.
Tout ce qui vous emporte est rapide et farouche.
Sais-tu pourquoi tu vis ? sais-tu pourquoi tu meurs ?
Les vivants orageux passent dans les rumeurs,
Chiffres tumultueux, flots de l’océan Nombre.
Vous n’avez rien à vous qu’un souffle dans de l’ombre ;
L’homme est à peine né qu’il est déjà passé,
Et c’est avoir fini que d’avoir commencé.
Derrière le mur blanc, parmi les herbes vertes,
La fosse obscure attend l’homme, lèvres ouvertes.
La mort est le baiser de la bouche tombeau.
Tâche de faire un peu de bien, coupe un lambeau
D’une bonne action dans cette nuit qui gronde,
Ce sera ton linceul dans la terre profonde.
Beaucoup s’en sont allés qui ne reviendront plus
Qu’à l’heure de l’immense et lugubre reflux ;
Alors, on entendra des cris. Tâche de vivre ;
Crois. Tant que l’homme vit, Dieu pensif lit son livre ;
L’homme meurt quand Dieu fait au coin du livre un pli.
L’espace sait, regarde, écoute. Il est rempli
D’oreilles sous la tombe, et d’yeux dans les ténèbres.
Les morts, ne marchant plus, dressent leurs pieds funèbres ;
Les feuilles sèches vont et roulent sous les cieux.
Ne sens-tu pas souffler le vent mystérieux ?

Au dolmen de Rozel, avril 1853.

Victor Hugo, Les Contemplations

Les illustrations

Un Spectre m'Attendait... de Victor Hugo dans Les Contemplations - Peinture de Henry Fuseli - Le rêve du berger - 1793
Un Spectre m'Attendait... de Victor Hugo dans Les Contemplations - Peinture de Henry Fuseli - Le rêve du berger - 1793
Victor Hugo - Photographie par Nadar - 1884
Victor Hugo - Photographie par Nadar - 1884

Le pdf

Le pdf du poème Un Spectre m’Attendait… de Victor Hugo est disponible dans le recueil Les Contemplations :